Terre Neuve

Chronique

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet album de la jeune octogénaire Brigitte Fontaine a souvent les allures d’un théâtre d’agit-prop qui serait déclamé au second degré. Qu’il s’agisse des quatre Breaks facétieux (5 secondes chacun en moyenne) ou bien d’improbables litanies (J’irai pas, God Go to Hell…), cet opus est en effet jonché de chansons/saynètes aux slogans ou aphorismes dégoisés dans un langage direct et cru. Elle va jusqu’à reprendre un titre écrit avec Jacques Higelin, à l’époque où ils participaient activement à la contestation ambiante (1969). Les Beaux Animaux est non seulement un hommage à son frère de cœur disparu en 2018, mais trahit également un désir nostalgique de se replonger dans une période où la subversion était particulièrement vivace – qu’elle soit lourdement sérieuse ou surréaliste. A priori, c’est cette seconde option qu’a toujours choisie Brigitte Fontaine, même si son discours oscille subtilement entre le premier et le second degré, l’ironie et la sincère colère. Avec son refrain « Vive la lutte armée » et ses grognements poussés avec un effet d’écho, le single Vendetta suscite à la fois l’effroi et le rire. Mais en creux, il témoigne aussi d’une authentique sensibilité et d’une réelle critique de la bêtise, qu’elle prenne la forme du machisme ou du féminisme.

On a parlé des coups d’éclat espiègles et des saynètes façon « agit-prop pour rire », mais l’intérêt de cet album réside dans le fait que ce joyeux bordel côtoie des morceaux moins impulsifs, de longs et sublimes poèmes parfois épiques, à l’image d’Hermaphrodite et du très celtique Parlons d’autre chose. Quant à Ragilia, Terre neuve et Haute Sécurité (dans lesquelles on reconnaît le style typiquement doux-amer de son duo avec Areski Belkacem), ce sont des joyaux où la furie de Brigitte Fontaine n’interdit pas la beauté des mots, mais aussi celle de la musique. À cet égard, soulignons le brillant travail des arrangeurs Yan Péchin et Jean Lamoot (ex-guitaristes d’Alain Bashung), dans lequel des guitares en tout genre (mais principalement électriques) se confrontent à des instruments aussi différents que des violoncelles, voire des cloches (Chrysler). Si Brigitte Fontaine se complaît ici ou là dans son numéro habituel, on ne peut s’empêcher d’être ébloui, voire revigoré, par cette zone de turbulences à la liberté de ton absolue. ©Nicolas Magenham/Qobuz