En septembre 2022, le groupe de thrash metal américain Megadeth ravissait ses fans avec la sortie de « The Sick, The Dying… And The Dead! », un des albums de l’année 2022 pour Qobuz. Retour sur ce disque avec Kiko Loureiro, cofondateur du groupe de metal brésilien Angra devenu guitariste de Megadeth en 2015.

The Sick, the Dying…and the Dead a un aspect cinématographique très marqué. C’était voulu ?

Il faut savoir que nous sommes de grands cinéphiles dans Megadeth. (Rire.) Je suis très heureux d’entendre cela car, de mon côté, c’était un objectif assumé et une volonté de retranscrire avec cet album ce que l’on peut ressentir en écoutant une bande originale de film. La musique instrumentale représente la meilleure porte d’accès à l’imaginaire. On s’inspire énormément de ces sensations lorsque l’on regarde des films ensemble. Quand vous créez de la musique, vous visualisez en permanence des images qui vont se greffer à ce que vous composez, et ce de manière indélébile. Vous voulez sonoriser ces paysages que vous « voyez », ces vallées etc.. Finalement, c’est quelque chose d’assez instinctif, qui doit être réalisé assez rapidement pour être retranscrit de manière exacte.

Entre son introduction, le pont en guitare classique et l’aspect général de la chanson, le titre d’ouverture représente très bien ce que vous expliquez. Il y a un sentiment d’immédiateté très saisissant.

Durant la composition et l’enregistrement de l’album, nous passons énormément de temps à débriefer les films que nous avons vus, ou à en regarder ensemble. C’est assez intéressant car Dave (Mustaine, le chanteur ndlr), comme beaucoup d’Américains dans le « business », connaît un peu l’envers du décor d’Hollywood, donc il a un regard très différent du mien sur ce que nous visionnons, et nos visions se complètent. Pour rebondir sur ce que vous disiez, les parties de guitare classique dans le titre The Sick, the Dying... and the Dead! sont inspirées par les films d’espionnage, j’essaie de jouer comme un espion brésilien (sourire). Moi, je le vois comme ça, mais Dave, si vous lui parlez de guitare classique, de vibrations hispaniques ou portugaises, il va penser Clint Eastwood et westerns.

Deux univers assez différents qui finissent par cohabiter donc ?

Exactement ! J’imagine que vous visualisez très bien ces plans iconiques du cinéma de western où Clint Eastwood se tient dans le désert face à un ennemi, avec la tension qui monte grâce, souvent, au travail exceptionnel du point de vue musical. Les gars sont sur le point de se tirer dessus et vous avez ces motifs de guitare très hispaniques qui viennent achever le travail d’ambiance. Nous parlons beaucoup de cinéma.

Kiko Loudeiro
Kiko Loudeiro © Travis Shinn

Au début de l’album, on entend la phrase « Bring out your dead » scandée. C’est une référence aux Monty Python ?

Je crois que c’est un des méfaits de Dave donc ça va être compliqué d’en parler en détail ! (Rire.) Mais oui, c’était clairement l’idée. Pour filer la métaphore cinématographique, cette phrase, c’est le premier pas de l’auditeur dans l’album, dans son scénario. On voulait que ça sonne vraiment « anglais », on a donc demandé à un ami d’Angleterre d’enregistrer la phrase avec le meilleur accent possible. Dave aurait pu le faire, mais avec son accent américain, ça aurait été bizarre et un peu « illégitime ». (Rire.)

Je ne connaissais Megadeth qu’en tant que fan ou professeur, il me fallait comprendre les tenants et aboutissants en tant que membre du groupe.

Par rapport à Dystopia, votre précédent album de 2016, ce nouveau disque semble s’affranchir de certaines limites.

Nous avons beaucoup appris à nous connaître depuis ce premier album ensemble. Lorsque j’ai rejoint Megadeth à l’époque, le groupe était déjà en studio. Je ne connaissais Megadeth qu’en tant que fan ou professeur, il me fallait comprendre les tenants et aboutissants en tant que membre du groupe. J’ai pu vraiment me rendre compte de ce que ça signifiait de jouer certaines chansons en live, de leur portée, ainsi que de la responsabilité de les retranscrire d’une certaine manière pour les fans qui suivent Dave depuis plusieurs années. Le Kiko de Dystopia était celui de la découverte, celui qui avait vu Megadeth en live, pas celui qui jouait avec eux. Maintenant, nous nous connaissons avec Dave, donc je me sens plus libre d’apporter des idées et d’en parler avec lui.

Vous êtes plutôt modeste concernant votre implication dans Dystopia.

(Rire.) Je pense que Dystopia est un superbe album, mais c’était un petit exploit d’avoir réussi à obtenir des chansons avec Dave à cette période, vu que nous n’avions travaillé ensemble que deux ou trois semaines tout au plus. Après plusieurs années de tournée, disons que je me sens plus légitime. Je suis plus intime avec le catalogue de Megadeth, et je pense saisir un peu plus ce dont nous avons besoin ou non. C’est drôle d’en parler car j’y repensais récemment. J’ai visité tellement de pays avec Megadeth, et je n’ai pas souvenir d’avoir eu une quelconque difficulté. Qu’il s’agisse des fans, de Dave, de l’équipe qui nous suit, j’ai tout de suite été mis dans de magnifiques dispositions pour m’exprimer comme un membre du groupe. Je pense que sans cela, je n’aurais pas été capable d’amener des idées pour We’ll Be Back ou Célebutante sur The Sick, the Dying... and the Dead!.

Diriez-vous que ce nouvel album est plus complexe que son prédécesseur ?

Totalement. Il y a beaucoup de titres beaucoup plus rapides, comme We’ll Be Back. On a vite compris que ça allait être compliqué de les retranscrire en live. Il y a également plus de morceaux proposant des passages acoustiques. Non pas qu’ils soient compliqués, mais ce sont des moments durant lesquels il faut une organisation sans faille pour que tout roule sans accrocs. C’était un challenge technique par rapport à mes capacités, à mon matos et à mon organisation donc…

L’autre gros challenge a été malheureusement la maladie de Dave, venue chambouler le processus d’enregistrement. L’album a-t-il beaucoup changé par rapport aux idées initiales ?

C’est dur pour moi d’en parler, car ce que Dave vous répondrait serait peut-être différent. Je me souviens que nous devions nous retrouver à Nashville durant l’été 2019 pour enregistrer l’album. Tout était organisé, les billets d’avion réservés, et il m’appelle pour m’annoncer qu’il est malade et qu’il doit suivre son traitement. Je pensais que tout allait être repoussé. Mais il me dit qu’on allait quand même enregistrer le disque, qu’il suivrait sa chimiothérapie en même temps. Donc tout a été fait durant son traitement ! L’acte même d’enregistrer The Sick, the Dying... and the Dead! était une partie importante du processus du rétablissement. Peut-être que tout aurait été différent si Dave avait attendu d’aller mieux pour le faire. Après, je n’ai aucune idée d’à quel point cela a pu être dur pour lui, je n’ai jamais eu à traverser une telle épreuve.

Cela a dû être impressionnant de le voir se battre et d’être à ses côtés durant cette période.

Je me souviens que l’on enregistrait durant une journée, et le lendemain, il suivait son traitement, et on suivait cette organisation. Il est vraiment très solide. C’était assez incroyable de l’entendre chanter par exemple. Je suis vraiment admiratif.

Les réactions des fans autour du premier single We’ll Be Back ont été incroyables. Ça faisait longtemps que Megadeth n’avait pas suscité un tel engouement. Comment l’avez-vous vécu ?

C’était assez frustrant de garder tout ça pour nous pendant des mois. (Rire.) Lorsque le single est sorti, c’était une libération. A cause de la pandémie, je n’ai pas pu me déplacer pendant une très longue période. Donc, l’enregistrement de l’album a été repoussé indéfiniment. Seules les parties de batterie avaient été enregistrées fin 2019. Je ne suis allé enregistrer mes guitares à Nashville que bien plus tard. Mais ce n’était pas fini, alors que je pensais être tranquille, il a fallu que j’enregistre quelques solos supplémentaires depuis mon studio. Ensuite, il fallait mixer et masteriser l’album, et lancer la tournée des festivals européens à l’été 2022 alors que le disque n’était toujours pas sorti.

On sent de la frustration.

Totalement ! La période entre l’enregistrement et la sortie n’est pas aussi longue normalement, et ça permet de confirmer les sentiments que vous avez vis-à-vis de l’album. Lorsque je travaillais sur le disque, je sentais que nous faisions du bon boulot, mais je n’avais aucun moyen d’avoir une confirmation. J’ai découvert l’album finalisé avec James LoMenzo, le bassiste, qui est revenu dans le groupe mais n’a pas enregistré l’album (c’était Steve DiGiorgio de Testament, ndlr). Il sautait partout durant l’écoute, c’était infernal ! Pouvoir confirmer mes ressentis a été incroyable, c’était une « bonne » anxiété je crois.

Votre cohésion avec James sur scène était impressionnante lors de votre double prestation au Hellfest 2022.

Ce mec est un vrai pro ! J’adore traîner avec lui autant sur scène qu’en dehors. Nous nous sommes très vite entendus. Vous savez, j’ai une théorie intéressante sur les bassistes : la basse est comme une colle qui lie tous les autres instruments pour en faire une base solide et inébranlable. Et étrangement, tous les bassistes que je connais ont une personnalité très proche de ce qu’incarne la basse. James est le meilleur exemple de ce que j’explique ici. Son CV est aussi impressionnant. Il a joué avec Slash, Zakk Wylde, David Lee Roth… Bref, qu’il s’agisse de raconter des histoires légendaires, d’apporter des conseils ou d’être juste un ami, je suis très heureux qu’il soit à nos côtés dans Megadeth. Je suis impatient de repartir en tournée avec lui.

Megadeth jouera à l’Olympia de Paris le 22 août 2023 et en tournée en Europe durant toute l’année.

Megadeth Europe Tour 2023
Megadeth Europe Tour 2023



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