Chaque mois, la rédaction de Qobuz repère pour vous les sorties à ne pas manquer, dans tous les genres.

BLUES/COUNTRY/FOLK (Stéphane Deschamps)

Leyla McCalla est là : en avril, on retrouve l’Américaine sur son nouvel album, Sun Without The Heat comme un pas de géante dans toutes les musiques de la diaspora afro-américaine. Et aux côtés de Rihannon Giddens, Sunny War, Valerie June et quelques autres, elle ouvre aussi la compilation My Black Country, consacrée au répertoire d’Alice Randall, rare autrice-compositrice noire dans le monde de la country. Pas si loin (géographiquement) de Leyla McCalla, la reine de la musique cajun Ann Savoy explore ses influences de jeunesse sur Another Heart, un album où l’on retrouve des reprises des Kinks, de Donovan, de Springsteen… Du côté des hommes, on appréciera le live intimiste du gentleman folk-blues Eric Bibb, toujours aussi élégant et doux. Mais l’évènement mensuel, voire annuel, en blues, c’est le retour de Cedric Burnside avec le bien nommé Hill Country Love, nouveau brulot en provenance du Nord-Mississippi. Dans l’amour de la tradition, mais en lui flanquant un bon coup de pied au derrière. Au rayon country, il est grand temps de découvrir Drunken Prayer, dont le sixième album, The Name Of the Ghost is Home, est une rare liqueur d’americana entre folk, soul et rock indé cool, avec un goût de revenez-y et de classique aussi obscur qu’éternel.

CHANSON FRANÇAISE (Nicolas Magenham)

Le mois d’avril s’ouvre majestueusement avec un hommage à l’un des rois de la chanson française : Michel Polnareff. Il était une fois Polnareff comprend 12 reprises de morceaux intemporels de l’interprète de La poupée qui fait non. On croise Malik Djoudi qui revisite Lettre à France dans un style poignant et minimaliste, ou Pomme qui transcende Qui a tué grand-maman en version guitare-voix. Échappé du collectif annécien Coming Soon, Ben Lupus (alias Benjamin Garnier) publie Forêts futures, un album qui célèbre la beauté de la nature, des mythes et des contes, tout en papillonnant entre la musique folk et la pop électro. Le 19 avril sort Danse encore, le nouvel album de Clarika : « Danser encore, même si le sol tremble », tel est le mantra de l’interprète des Garçons dans les vestiaires. Comme toujours, les paroles sont un mélange d’observations du monde qui l’entoure et d’évocations intimes, entre insolence et onirisme. Un cadeau plein de grâce nous attend à la fin du mois puisque paraîtront quatre titres inédits de Charles Trenet, enregistrés lors d’un concert en Allemagne (Four lost live tracks). Enfin, Calypso Valois sort son second album, Apocalypso, produit par Yan Wagner. Hors norme et magnétique, la pop de la fille de Jacno et Elli Medeiros est faite de mélodies baroques portées par une voix habitée.

CLASSIQUE (Pierre Lamy)

Les amoureux d’opéra auront eu le plaisir ce mois-ci d’apprécier un grand écart esthétique, les deux pieds de part et d’autre de l’Atlantique : côté musique française, le label Palazzetto Bru Zane nous a gratifiés le 12 d’une remarquable intégrale du Déjanire de Camille Saint-Saëns. Pour le versant américain, on n’aura pas manqué le 26 la sortie très attendue de The Hours, signé Kevin Puts, l’un des chefs de file de la nouvelle musique américaine et lauréat du Pulitzer en 2012. La production, adaptée du film de Stephen Daldry sorti en 2002 dont la BO de Philip Glass était restée dans toutes les mémoires, avait été présentée au Metropolitan Opera avec un casting hors norme : Renée Fleming, Joyce DiDonato, Kelli O’Hara. Un joyau de la mouvance néotonaliste voué à devenir un classique. Au piano, le pianiste argentin Nelson Goerner nous revient chez Alpha avec un nouvel album consacré à Liszt absolument renversant de clarté et d’épure. Il ne fallait pas non plus manquer la monographie Chopin du prometteur Yunchan Lim parue le 19 chez Decca. Les amateurs de polyphonies de la Renaissance se tourneront vers Timor Mortis, programme exigeant proposé par l’Ensemble Gilles Binchois chez Evidence mettant en lumière les compositeurs Charles D’Argentil, Claudin de Sermisy et Jehan Barra. Enfin, une belle surprise nous parvient du label belge Evil Penguin et du Philharmonique de Bruxelles, dans une Deuxième Symphonie de Scriabine à couper le souffle.

JAZZ (Stéphane Ollivier)

On commence le riche programme de ce mois d’avril avec le magistral hommage rendu au free-jazz cosmique de Sun Ra par la bassiste et compositrice Meshell Ndegeocello entourée d’une pléiade d’invités prestigieux (The Magic City) ainsi que par le nouvel opus People of Earth du collectif Black Lives offrant à travers un panel de musiciens et musiciennes venus d’Afrique, des États-Unis et des Caraïbes un aperçu saisissant de l’extraordinaire éclectisme de cette diaspora afro. Figure emblématique de la nouvelle scène jazz londonienne, Shabaka acte dans Perceive Its Beauty Acknowledge Its Grace la mue amorcée dans son précédent disque, délaissant le saxophone pour la flûte, signe un album-manifeste d’une grande puissance spirituelle. S’inscrivant dans une tradition plus spécifiquement jazz, la jeune saxophoniste ténor chilienne installée à Brooklyn Melissa Aldana met avec talent ses pas dans ceux de la légende Wayne Shorter et signe avec Echoes of the Inner Prophet son meilleur disque à ce jour. Bill Frisell de son côté aventure son trio dans l’écrin d’arrangements somptueusement cinématiques conçus par le vétéran Michael Gibbs pour une relecture passionnante de son univers onirique (Orchestras). Côté piano, Brad Mehldau s’octroie en solitaire un délicieux pas de côté en consacrant la totalité d’un album à la musique de Gabriel Fauré (Après Fauré), tandis que son maître, Fred Hersch, signe avec Silent Listening à la fois son premier solo pour ECM et l’un de ses albums les plus aboutis.

Le jazz européen n’est pas en reste : le saxophoniste Stefano Di Battista continue avec La Dolce Vita son exploration lyrique d’un certain imaginaire associé à l’âge d’or du cinéma italien, la pianiste et cheffe d’orchestre danoise Kathrine Windfeld révèle à la tête de son sextet tous ses talents de compositrice et d’arrangeuse (Aldebaran) et l’indispensable bassiste français Sylvain Daniel signer avec Slydee un disque à son image, irrésistiblement groovy. On se délectera pour finir de ces bandes inédites de Mal Waldron et Steve Lacy enregistrés en quartet en Belgique en 1995 à l’occasion des 70 ans du pianiste (The Mighty Warriors Live in Antwerp), de l’extraordinaire compilation de concerts donnés en Europe en 1959 par un Sonny Rollins en état de grâce (Freedom Weaver: The 1959 European Tour Recordings (Live)) et de la réédition d’un disque live du trompettiste Chet Baker enregistré dans le cadre du festival de Foggia en Italie en 1985 avec Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et Philip Catherine à la guitare (Signature).

ROCK/METAL (Chief Brody)

Le mois d’avril a très rapidement basculé dans une spirale dévastatrice pour les tympans fragiles qui ne s’y attendaient guère avec Ekbom de Benighted, un album de brutal death sur lequel le combo français fait tout plus vite, plus gras, plus fort. À l’opposé de l’emballement du tempo imposé par la double gosse caisse, My Dying Bride laisse à son doom le temps de se poser sur A Mortal Binding, entre deux plages de mélancolie et des vrais riffs solides qui soutiennent le propos. Autre solidité, celle-là aussi technique que créative, celle des musiciens de DVNE qui continuent de développer le côté alambiqué de leur univers, entre post-metal et rock progressif, avec une réussite toujours aussi insolente sur Voidkind. Du côté des anciens, après avoir célébré ses 50 ans avec un album live, Blue Öyster Cult fait découvrir des perles du passé, souvent oubliées, grâce à Ghost Stories, un disque sur lequel il a réenregistré des chansons sorties majoritairement entre 1976 et 1983. Enfin, ceux qui n’ont pas vu passer le temps se feront plaisir avec la compilation Papercuts (Singles Collection 2000-2023) de Linkin Park qui, alors que les spéculations bon vont bon train autour d’une reformation sans savoir qui serait susceptible de remplacer Chester Bennington derrière le micro, sept ans après sa disparition. Pendant que tout ce petit monde compile ou refait le match en studio, Pearl Jam, toujours fier et debout, s’apprête à sortir son nouvel album, Dark Matter, après avoir lâché deux premiers singles explosifs sur le web coup sur coup.

MUSIQUES ÉLECTRONIQUES (Smaël Bouaici)

Côté français, le mois avait commencé avec le maxi She’s My Gang, le projet de « pop futuriste » de Leo Pol, DJ/producteur passé au micro, en featuring avec la chanteuse Zinda Reinhardt (oui la même famille que Django) sur son nouveau label Tigh Pop. On aime bien aussi le nouveau maxi Cosmic Tree du producteur parisien Franck Roger, qui fait plaisir avec un morceau de house vocal délicieusement rétro, Part of My Soul featuring Rimarkable. On vous rappelle aussi la sortie de When all you want to do is be the fire part of fire, deuxième album Qobuzissime du duo français UTO, signé désormais chez InFiné, comme Rone ou Deena Abdelwahed. Les plus exigeants d’entre vous ne manqueront pas ISSO10, dernière livraison du producteur allemand Skee Mask pour Ilan Tapes : de la techno qui fait travailler les méninges et clairement un des disques du mois. Attendu aussi, l’album de la sensation de la jungle anglaise Nia Archives, Silence Is Loud, qui superpose breakbeats de rave et chansons folk-pop. Outre-Manche toujours, Will Phillips alias Tourist sort son très élégant cinquième album Memory Morning, un condensé tout en douceur des influences de la scène indie/électronique britannique de la dernière décennie. Et puis, on ne sait plus trop s’il faut les classer dans la rubrique électronique, mais les Mount Kimbie sortent un nouvel album qui s’éloigne toujours plus du post-dubstep de leurs débuts pour embrasser les guitares, The Sunset Violent, toujours chez Warp.

ROCK & ALTERNATIF (Charlotte Saintoin)

Les Libertines sont de retour. Le quatuor de Peter Doherty et Carl Barât est parti composer en Jamaïque All Quiet on the Eastern Esplanade, un condensé de rock’n’roll sincère et de belle facture alternant ballades sombres et orchestrations pop classieuses. Autres artisans du punk anglais arrivés à leur quatrième disque, les membres de la Fat White Family reviennent sans leur guitariste Saul Adamczewski. Seul à la barre, le frontman Lias Saoudi tire la famille vers une poésie amère et plus intime. Toujours outre-Manche, le guitariste de Dire Straits Mark Knopfler rend un nouvel hommage à Newcastle, dans le nostalgique et laid back One Deep River. De l’autre côté de l’Atlantique, les Black Keys, eux, sortent leur carnet d’adresses pour honorer l’Ohio à plusieurs. Beck, Noel Gallagher, Kelly Finnigan, Leon Michels, Greg Kurstin ou encore Dan The Automator croisent leurs influences dans Ohio Players. Le trio texan Khruangbin enchaîne avec A La Sala, des plages instrumentales au charme discret où l’on entend Laura Cox chuchoter et les grillons chanter.

Mais c’est à New York qu’on trouve l’incontournable du mois : Only God Was Above Us de Vampire Weekend. Ezra Koenig brouille les genres, de l’ambient à la pop en passant par le jazz, autour des synthés. Un patchwork pas évident de prime abord qui se dévoile au fil des écoutes, pour se révéler addictif et grandiose. Autre pépite à ne pas louper qui amène la pop dans des contrées inexplorées, le délicat Eye to the Ear du magicien Cosmo Sheldrake où fusent les flûtes et les cuivres. On termine avec Mount Kimbie, passés du dubstep guitares et la jeune Américaine en feu St. Vincent. Dans All Born Screaming, Annie Clark malaxe une pop en clair/obscur inspirée par les peintures de Goya ou le monde post-Covid, avec ses prestigieux comparses Dave Grohl, Stella Mozgawa de Warpaint ou encore Cate Le Bon.

REGGAE (Smaël Bouaici)

Côté reggae, la grosse sortie du mois, c’est le UB45 de UB40. Après le livre UB40 at 40, le groupe anglais fête 45 ans de carrière avec une compilation rassemblant ses hits comme Red Red Wine ou Cherry Oh Baby, deux chansons puisées dans le répertoire jamaïcain. Autre vétéran de la scène, Clinton Fearon sort son nouvel album Survival Vibration. L’ancien Gladiator a concocté un album tout en acoustique pour ce retour, son troisième dans le genre après Mi An’ Mi Guitar (2005) et Heart and Soul (2012). Ce mois-ci, le soundsystem du Mans Irie Ites s’est associé au MC Solo Banton sur In This Time, un album de sept titres originaux complétés par des versions dub sur lequel le Londonien déploie son flow caractéristique, notamment sur le riddim vedette du crew, le Licky Licky. Outre-Manche, le groupe historique The Black Roots sort un nouvel album de pur reggae-roots tout simplement intitulé… Roots. Facile. Enfin, le Jamaïcain Kabaka Pyramid sort une version deluxe de son album The Kalling, produit par Damian Marley et qui lui a valu un Grammy Award l’an passé, assortie de remix et versions dub.

WORLD (Stéphane Deschamps)

La world music de chez nous, celle qui fait voyager et découvrir de nouveaux (ou d’anciens) horizons musicaux, c’est le duo Marion Cousin & Eloise Decazes qui l’invente aujourd’hui. Les deux chanteuses, en connexion avec des répertoires traditionnels, ravivent sur Com a lanceta na mao des chants oubliés du Nord-Est du Portugal. Avec leur liberté, leur goût pour l’expérimentation, autant d’étrangeté que de fluidité. Sahra Halgan vient du Somaliland, dit « le pays qui n’existe pas » (il a proclamé son indépendance en 1991, mais n’est pas reconnu par la communauté internationale). Sahra Halgan, elle, existe bien et s’affirme avec ce Hoddi Dhawar diablement funky, qui modernise l’héritage de l’éthio-groove. De l’autre côté de l’océan Atlantique, de bonnes nouvelles arrivent du Brésil : Novela, un nouvel album joliment rétro de la capiteuse diva Céu, tout en cordes, basse moelleuse et mélodies d’amour, talonné par le deuxième album de Bruno Berle, dans le même genre en plus brumeux et psychédélique. Et on termine avec l’ovni du mois : un nouvel album instrumental top zen de la sitariste Anoushka Shankar, qui navigue et plonge en dehors des eaux territoriales trop facilement identifiables.