Avez-vous déjà bu un "caffè macchiato" sur une terrasse à Florence ? C'est un café court (ristretto) avec une tache de lait mousseux. Une tache blanche qui éclaire soudainement la sombre et délicieuse boisson nationale italienne. Comme à Paris, ce sont les cafés qui deviennent les lieux les plus vivants du débat artistique et intellectuel, vers 1855, dans cette Italie en plein ébullition. A Florence tout se passe au Caffè Michelangiolo dans lequel viennent discuter de jeunes artistes soucieux de renouveler la peinture en opposition à la tradition académique. Ils trouvent un soutien, un mentor, en la personne de Diego Martelli, critique et mécène qui jouera par ailleurs un rôle fondamental dans la diffusion de l’impressionnisme français en Italie, grâce à ses nombreux séjours à Paris et à son amitié avec Degas. Ce sont les "macchiaioli" (littéralement les "tachistes"). Une exposition leur est actuellement consacrée au musée de l’Orangerie à Paris, dans le jardin des Tuileries.

La comparaison avec les impressionnistes, suggérée par le sous titre assez racoleur de l'exposition, ne tient pas, car ces derniers ont véritablement révolutionné la peinture alors que les macchiaioli vont certes aboutir à une véritable synthèse géométrique des formes et des figures, créée par la lumière même avec beaucoup de poésie, mais en restant dans le cadre d'une peinture réaliste, comme cette Route de Toscane peinte vers 1863 par Abbati avec ses ombres portées évoquant la chaleur accablante ou comme Le Cloitre de Santa Croce du même peintre, avec les taches blanches et brunes des marbres devenant lumineux sous le soleil. Plus tard, les artistes s’enhardissent en allant planter leur chevalet en plein air et les tableaux de Abbati, Borrani, Cabianca, Signorini réalisés autour de Florence reproduisent l’image de la nature d’une façon immédiate. A cette quête du plein air qui vient éclairer la palette des peintres, on peut ajouter leur regard sur la réalité des campagnes et la description de la vie intime bourgeoise qui renouvèle le tableau de genre à travers les sujets de la vie contemporaine de cette fin de siècle. Mais une des composantes essentielles des macchiaioli est leur engagement politique lié à l’Unité de l’Italie, au Risorgimento et à Garibaldi. C’est ici qu’ils se rapprochent de Giuseppe Verdi dont l’engagement politique est largement perceptible dans ses opéras. Les grandes toiles de Giovanni Fattori et de Silvestro Lega nous font immanquablement penser à Verdi.

A sa naissance, il y a tout juste 200 ans, une grande partie de l'Italie est sous administration française et son bourg natal, Busseto est situé dans le département du Taro. Toute la carrière du musicien va se dérouler parallèlement à l'histoire de son pays et au Risorgimento dont son oeuvre se fera l'écho, et même la propagande, pour lutter contre l'emprise étrangère, française, puis autrichienne. On sait que le Va pensiero de Nabucco peut être considéré comme une sorte d'hymne national aujourd'hui encore, si l'on pense à Riccardo Muti haranguant Silvio Berlusconi à l'Opéra de Rome, avant que le public ne reprenne le Choeur des Hébreux à tue-tête. Cet engagement politique de la patrie opprimée parcourt toute l'oeuvre de Verdi. Dans I Lombardi alla prima crociata, le choeur O Signore del tetto natio vante sans aucune ambigüité la beauté de la terre natale. Son opéra "le plus ouvertement patriotique" reste La Battaglia di Legnano, dans lequel la violence des situations est extrême et, pourrait-on dire, parfaitement codifiée, comme elle le sera dans l'époque héroïque du cinéma soviétique (Jean-François Labie). Dans Attila, le roi des Huns est assimilé à l'envahisseur autrichien : Tu peux garder tout l'univers, pourvu que je conserve l'Italie lui chante Ezio. C'est à cette époque que les patriotes commencent à barbouiller les murs de Milan avec l'inscription Viva V.E.R.D.I. (Vittorio Emanuele Re D'Italia) pour narguer l'armée autrichienne.

Verdi transporte son engagement politique à l'Opéra de Paris pour les Vêpres siciliennes où la version française est même plus virulente que sa transposition italienne. On retrouvera des traces de l'engagement politique de Verdi en filigrane dans des ouvrages comme Simon Bocanegra, Un ballo in maschera, la Forza del destino et, bien sûr, Don Carlo. Dans une certaine mesure un opéra comme La Traviata dénonce un système social dominé par les hommes en même temps qu'il reflète sa propre position et sa liaison avec la cantatrice Giuseppina Strepponi qui deviendra sa seconde épouse en 1859, à la suite d'un mariage secret contracté à Collonges-sous-Salève (photo ci-dessus) alors possession du Royaume de Sardaigne et aujourd'hui en Haute-Savoie, à quelques centaines de mètres de la frontière du canton suisse de Genève.

Une fois de plus il est passionnant de confronter l'histoire de l'art et celle de la musique ; cette exposition du musée de l'Orangerie consacrée aux macchiaioli nous en offre une belle occasion.